Pensée et
action sociales de l'Église
Initiation
à la doctrine sociale
Dans
son milieu social (famille, profession, engagements divers), le
chrétien convaincu cherche à mettre en pratique les exigences de
l'Évangile. Mais la Doctrine sociale de l'Église reste encore pour
lui une affaire de spécialistes. Avant de s’engager, nombreux sont
ceux qui hésitent, déroutés, découragés par 1000 pages de textes
peu accessibles, émanant de sources multiples.
Il ne s’agit
donc pas ici d’entrer dans un nouvel exposé dogmatique comme il en
existe déjà beaucoup, mais plus simplement de proposer une «
introduction à la doctrine sociale de l'Église » de nature
pédagogique.
Cet ouvrage répondra au désir de nombreux
chrétiens sur le terrain qui sont désireux de vivre leur foi au
quotidien mais qui manquent de support concret.
******
La Doctrine sociale de l'Église, c'est en priorité l'invitation à s'engager dans une démarche spirituelle pratique et quotidienne sous-entendue par une réflexion rationnelle de nature théologique et morale. Elle s'adresse à tous « les hommes de bonne volonté » qui aspirent à donner du sens à leur vie et à consacrer leur foi ou leur idéal à la qualité de leur « relation avec l'autre » dans tous les domaines de la vie sociétale : famille, travail, politique, économie, écologie...
Extrait
de l'introduction du livre de Mr Joël THORAVAL.
C'est
une heureuse coïncidence que ce livre Pensée
et Action sociales de Église
voit le jour tandis que nous commémorons en cette année 2014 le
dixième anniversaire de la parution du Compendium
de la Doctrine sociale de l'Église
(2004).
Dix
ans déjà que cette synthèse absolument remarquable a été mise à
la disposition du public ! On est en droit de se demander toutefois
si le livre en question a véritablement connu le succès attendu. Il
semble, en effet, que malgré tous les efforts déployés par
l'Église pour faire découvrir sa Doctrine sociale, peu de chrétiens
se soient donné la peine d'en découvrir le riche contenu.
En
connaissent-ils d'ailleurs l'existence ? Ce n'est même pas si sûr.
Et pourtant, alors qu'il paraît bien difficile aujourd'hui de se
comporter en chrétiens dans un monde complexe en évolution
permanente, il y a dans le corpus de la Doctrine sociale de l'Église
une mine extraordinaire où
les baptisés que nous sommes sont à
même de trouver toutes les lumières nécessaires pour agir et
témoigner au milieu du monde selon les critères de l'Évangile.
Dans les domaines d'investigation aussi variés que la politique,
l'économie, l'éthique, la vie sociale, la culture, la science, la
technique, l'écologie, l'Église offre par sa Doctrine sociale des
principes de réflexion, des critères de jugement et d'action
absolument indispensables pour œuvrer à
la promotion d'un humanisme intégral et solidaire.
Extrait
de la préface du livre par Mgr Thierry Scherrer, Évêque de Laval.
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Rerum Novarum : Sur la condition des ouvriers – 15
mai 1891 – Léon XIII.
Il fallut
la haute stature intellectuelle et politique de Léon XIII, Pape de 1878 à 1903,
et la qualité des travaux engagés à sa demande par l'Union de Fribourg,
rassemblant autour de Monseigneur Mermillot des experts européens motivés, pour
que soit publiée le 15mai 1891 la première Encyclique Rerum Novarum, texte
fondateur de l'enseignement social de l'Église ayant pour thème la condition
ouvrière à la fin du XIXe siècle.
Le
diagnostic est sévère : « L'industrie s'est développée et ses méthodes se
sont complètement renouvelées. Les rapports entre patrons et ouvriers se sont
modifiés. La richesse a afflué entre les mains d'un petit nombre et la
multitude a été laissée dans l'indigence » (RN 1). Léon XIII ajoute en
évoquant « les hommes des classes inférieures » : « Le dernier
siècle a détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes, qui
étaient pour eux une protection. Tout principe et tout sentiment religieux ont
disparus des lois et des institutions publiques, et ainsi, peu à peu se sont
vus, avec le temps, livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité
d'une concurrence effrénée. Une usure dévorante est venue ajouter encore au
mal » (RN ,2).
Le corps
de l'Encyclique précise le rôle respectif de l'Église, des États et des
corporations, tout en affirmant en préambule que contrairement à la
théorie socialiste de l'époque, la
propriété privée et personnelle « est pour l'homme le droit naturel »
(RN 5,1).
a) L'Église
Sur
le plan de l'Église, Léon XIII pose le principe qu'elle a le droit et le devoir
de s'exprimer sur les questions sociales car, par sa référence à l'Évangile,
elle est en mesure d'énoncer « des doctrines qui mettent fin au conflit ou
au moins l'adoucissent » (RN 13.2). Vie sociale et Évangile sont liés.
Concernant
« la condition des ouvriers »' elle dénonce une situation où les
« classes inférieures » (c'est le langage de l'époque) sont dans une
situation d'infortune et de misère imméritée « à la merci » de
maîtres inhumains « et de l'attitude » d'un petit nombre de riches et
« d'opulents qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie
multitude des prolétaires (RN 2).
Dans
cet esprit, elle affirme que riches et pauvres, capital et travail, ne sont pas
deux classes ennemies, mais qu'elles sont complémentaires en charge de devoirs
mutuels, la priorité étant le respect de la justice et un usage commun des
richesses.
b) L'État
De
l'État, Rerum Novarum attend qu'il serve « l'intérêt commun »,
« le bien commun », en ce préoccupant des travailleurs sur le plan de
leur dignité, de la fixation d'un juste salaire, du repos hebdomadaire, de la
durée du travail et de ses conditions en fonction du sexe, de l'âge, et de la
Santé
c) Les corporations
c) Les corporations
Enfin,
dans le cadre de la Société Civile, Rerum Novarum invite patrons et ouvriers à
assumer par eux-mêmes leurs propres responsabilités en s'associant librement en
corporations structurées (nous disons aujourd'hui syndicats ou associations),
animées par un « principe intérieur » qui est celui « du
perfectionnement moral et religieux » (en clair la foi chrétienne), afin
de concilier les droits et les devoirs réciproques des deux parties.
De ces principes jaillira un véritable
syndicalisme chrétien qui rayonnera dans les décennies suivantes.
Ainsi, on peut dire que si Rerum Novarum porte
certes la marque de son temps, et s'il faut reconnaître qu'à l'époque elle
mobilisa peu la masse des chrétiens, elle marqua avec éclat le coup d'envoi de
la Doctrine sociale de l'Église.
Extrait du livre de Mr Joël THORAVAL, pages 75 à
77
Propos recueillis par Brigitte PONDAVEN
Mr Joël Thoraval répondra aux questions suivantes :
*******
ENTRETIEN AVEC JOËL THORAVAL
Introduction à Doctrine sociale
Propos recueillis par Brigitte PONDAVEN
Mr Joël Thoraval répondra aux questions suivantes :
1- En lisant les premières page de votre livre, on sent que vous avez répondu à l'urgence de faire connaître la doctrine sociale de l'Église. Comment avez-vous pris conscience de cette nécessité ?
2- Vous écrivez que, lorsque vous étiez préfet, vous « faisiez de la doctrine sociale sans le savoir ». Vous souvenez-vous d'un évènement particulier relu plus tard à la lumière de ce vaste corpus ?
3- Lorsque vous étiez président du Secours catholique, vous est-il arrivé de « travailler » ce corpus pour vous éclairer ou pour trouver les mots explicitant votre pensée à vos collaborateurs ?
4- Vous résumez ainsi : « La Doctrine sociale de l'Église, c'est en priorité l'invitation à s'engager dans une démarche spirituelle pratique et quotidienne. Elle s'adresse à tous les hommes de bonne volonté qui aspirent à donner du sens à leur vie et à consacrer leur foi ou leur idéal à la qualité de leur « relation avec l'autre » dans tous les domaines de la vie sociétale ».
5- Estimez-vous que la plupart des chrétiens en responsabilité n'y sont pas assez formés ? Qu'ils recherchent peut-être dans des formations coûteuses ou des coachings ce qu'ils ont sous la main ?
6- Mgr Scherrer, évêque de Laval, qui préface votre ouvrage, évoque une « nécessité pastorale » liée à la nouvelle évangélisation. Le lien entre vie spirituelle et action est-il intrinsèque à la DSE ?
7- Vous avez gardé comme fil conducteur de votre travail cette phrase de Gaudium et Spes : « L'Église fait route avec humanité « (GS 40-2). Le corpus constitué au fil des ans saurait-il éclairer des questions qui ne s'étaient pas posées lorsqu'il a été écrit ?
8- Quel est le texte que vous préférez ?
9- Vous voyez dans la Doctrine sociale de l'Église le moyen d'opérer la synthèse entre les trois tâches de l'Église telles que Benoît XVI les rappelle dans Deus Caritas est : l'annonce de la Parole de Dieu, la célébration des sacrements, le service de la charité. Comment en estes-vous arrivé à cette conclusion ?
10- Finalement, un livre comme le vôtre serait le meilleur manuel d'évangélisation parce qu'il ne donne pas de recettes mais oblige sans cesse à remettre la personne au cœur de notre action ?
Vous aurez les réponses à ces questions dans le
numéro 3399 du 16 mai 2014 de France Catholique.
Parole
et Silence, 2014
ISBN
978-2-88918-207-7
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Intervention de Joël Thoraval, responsable du
Secours Catholique, en tant que grand témoin lors des Assises Nationales
2006 des EDC
*********
Doctrine sociale
de l’Église
A l’ exception de
quelques spécialistes et de certaines associations la DSE reste pour bon nombre
d’entre nous «une grande inconnue».
- Pour certains, la DSE en effet
est peu
connue car elle est difficile d’accès :
1000 pages de textes, une histoire qui s’étire sur plus d’un siècle (de
1891 à aujourd'hui) avec 7 Papes et le
Concile Vatican II. Il faut le dire, de rares références dans les homélies des Offices dominicaux. Il y a là un large défaut de communication.
- Pour d’autres la DSE est connue
mais mal comprise. «Doctrine» ? un mot
qui date. Trop directif . «Sociale» ?
n’ est–ce pas trop engagé ?
Les
Sacrements, la Parole sont privilégiés
et le Service de la Charité plutôt circonscrit.
- Pour d’autres enfin les réserves
sont encore plus grandes et se situent au niveau des principes. Est–ce bien à
l’Église en tant que telle à s‘engager dans le
« social » ? Sa vocation n’est-elle pas de nature essentiellement spirituelle
et morale sans qu’il y ait nécessité pour elle de s’exprimer sur les plans
politique, économique, social, environnemental et international. Je me suis
attaché à répondre à ces questionnements dans mon dernier livre « Pensée et action sociales de l’Église »
(Edts Parole et Silence. avril 2014), à
partir des textes eux–mêmes, en exposant l’histoire de la DSE, ses fondements,
sa mise en pratique, ses acteurs et diverses annexes pour faciliter la
compréhension de l’ensemble.
Aujourd'hui, je vous invite à
approfondir cette «Doctrine» en distinguant :
- son histoire
- son contenu
I
Histoire de la DSE
Donc, tout d’abord, son histoire.
En
fait il ne s’agit absolument pas de faire un « historique » de la DSE mais de
bien comprendre que le contenu actuel de celle-ci est le fruit d’une adaptation constante à l’évolution rapide et
profonde du monde contemporain de la fin du XIXe siècle à aujourd'hui.
A l‘origine, à partir de la fin du
XIXe siècle, le mot « social » est réservé par Léon XIII aux problèmes
concernant le monde du travail, la classe ouvrière. Aujourd'hui la Doctrine
dite «sociale» s’est élargie à l’ensemble des questions posées par la «société
humaine», la «communauté humaine», le « genre humain » selon les mots mêmes utilisés
par Gaudium et Spes lors de Vatican II repris ensuite par Jean-Paul II et
Benoit XVI puis aujourd'hui par le Pape François.
A/ Les origines : les
prémices de la DSE
Comment et pourquoi s’est opérée
cette évolution ?
Fin XVIIIe siècle et tout le XIXe
siècle le monde se transforme à un rythme accéléré : révolutions politiques
(États-Unis en 1787. France en 1789. Révolutions de 1830 et 1848), révolution
économique (industrialisation, commerce, banques, transports et essor du
capitalisme libéral), révolution intellectuelle (romantisme, socialisme,
libéralisme), révolution scientifique et technique, révolution sociale
(développement du prolétariat ouvrier).
Déjà des chrétiens réagissent :
en 1842 Jeanne Jugan à Rennes et les Petites sœurs des pauvres. A Lyon le Père
Chevrier au Prado : accueil des pauvres. A Turin Jean Bosco : accueil des
jeunes et des apprentis. En Mayenne Léon Armel : entreprises et ouvriers. A
Mulhouse Jean Dolfuss : habitat . Création des jardins ouvriers.
Toutefois
l’Église officielle dans un premier temps, jusqu'à la fin des années 1870,
au niveau du Vatican notamment, n’évolue
pas et se montre même parfois hostile à tout changement . Quelques exemples :
- 1832 .Lettre encyclique
«Mirari vos » GrégoireXVI « c’est le comble de l’absurdité et de l’outrage
envers l'Église de prétendre qu’une restauration et qu’une régénération lui
sont devenues nécessaires pour assurer son existence et ses progrès. Que veulent ces novateurs téméraires».
«
Liberté de la presse, liberté la plus funeste ,liberté exécrable ...»
- 1849 « Nostis et Nobiscum » .
Pie IX «Que nos pauvres se souviennent, d’après l’enseignement de Jésus-Christ
Lui même, qu’ils ne doivent point s’attrister de leur condition; en effet, dans
la pauvreté, le chemin du salut leur est préparé plus facile, pourvu toutefois
qu’ils supportent patiemment leur indigence et qu’ils soient pauvres, non
seulement matériellement, mais encore en esprit » (Réf à Mathieu V . Les
Béatitudes !).
- 1864 «Quanta cura». Pie IX. Il
renouvelle ses appréciations particulièrement critiques sur les principes
nouveaux de la société du XIXe siècle qu’il qualifie de «doctrine perverse», de «monstruosités
extraordinaires, de peste» à savoir la séparation de l'Église et de l'État, de
la liberté de conscience et de culte.
- 1864 Syllabus, recueil de 80
propositions «d’erreurs» du monde moderne selon Pie IX.
Exemple : la 80e
proposition considère comme une erreur de dire que «le Pontife Romain peut et
doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la
civilisation moderne. »
Pourtant, en dépit de ces
positions officielles au niveau du Vatican, différents groupes chrétiens et
quelques personnalités ecclésiastiques prennent de plus en plus conscience de
la misère ouvrière .
Notamment
(«chrétiens sociaux» en Allemagne, Autriche, Suisse; «catholiques sociaux» en France : La Tour du Pin, Albert
de Mun, famille Harmel, et associations
des patrons du Nord; École
d’Angers avec Mgr Freppel; Mgr Kettler en Allemagne marqué par le socialiste Lassal; le Cardinal
Manning à Manchester; le Cardinal
Gibbons à Baltimore; l’Union de Fribourg (groupe actif de laïcs et de
clercs) : réflexion de fond sur la question sociale, coordonnant les groupes nationaux de Rome et
de Francfort).
B/ La DSE de la «première génération» consacrée à la
condition ouvrière et aux Idéologies politiques.
a) 1878 – 1903 : Léon XIII.
Enfin en 1878, Mgr Pecci, évêque très
brillant de Pérouse succède à Pie IX sous le nom de Léon XIII. Le nouveau Pape
est totalement acquis aux idées nouvelles.
Il pose alors l’acte fondateur de la
DSE en 1891 par l’encyclique Rerum novarum consacrée à «la condition des
ouvriers » et à l’examen des réalités économiques de l’époque : la propriété
privée, la vie de l’entreprise, le système économique, les corporations, les
responsabilités des États. Il affirme que l’Église a le droit et le devoir de
s’exprimer sur les questions sociales. Vie sociale et Évangile sont
liés.
La Doctrine sociale à ses débuts
concerne donc exclusivement «la condition des ouvriers».
C’est
ce que l’on peut appeler la «Doctrine sociale» de la première génération par
rapport aux années ultérieures ou le champ de cette Doctrine ne va pas cesser
de s’élargir.
Précisons qu’à l’époque Rerum
novarum fut accueillie avec réserve par de nombreux catholiques et par contre
vivement appuyée par quelques-uns.
b) 1922- 1939 : Pie XI
Avec Pie XI on assiste à un
approfondissement de la DSE qui passe de «la condition des ouvriers » à
«l’instauration d’un nouvel ordre social »,
c’est à dire à l’examen des différents systèmes économiques et sociaux.
(1931. Quadragesimo anno ). On note également un élargissement au domaine
politique en stigmatisant avec une extrême vigueur les idéologies nazies et
bolcheviques. (1937 . Mit brennender Sorge et Divini Redemptoris).
C/ L’âge d’or de «la deuxième génération» de la
DSE :
du «social» à la «société».
a) 1945 -1960 : les
transformations du monde au lendemain delà deuxième guerre mondiale
Transformations sociales
(assurances et sécurité sociale, éducation et instruction, promotion sociale
mais déséquilibres entre les secteurs , les régions , les pays, les continents).
Transformations
techniques, scientifiques, économiques(conquête de l’espace, énergie nucléaire,
automation, développement des transports).
Transformations politiques (fin
du régime colonial, indépendance des peuples d’Asie et d’Afrique, développement
d’un réseau d’organisations
internationales).
Jean XXIII dans Mater et Magistra
parle désormais de la «socialisation» de la société ( M M.59).
De ce fait l’Église donne un
autre sens au mot social : on passe de la notion étroite de «la condition
ouvrière» à la notion très élargie de «société».
b) 1960 -1970 : un séisme spirituel de grande ampleur.
Les acteurs : les pontificats de Jean XXIII (1958
– 1963), Paul VI (1963 – 1978) et le
Concile Vatican II (1962-1965).
Les
textes : Encycliques Mater et Magistra (1961) et Pacem in terris (1963) de Jean XXIII; Lumen Gentium
(1964) et Gaudium et spes (1965) du Concile Vatican II; Ecclesiam suam (1964),
Populorum progressio (1967) et Octogesima adveniens (1971) de Paul VI.
Les orientations nouvelles : La
des n’est plus limitée au monde du travail et aux idéologies subversives elle
devient comme le précise Gaudium et spes : «la Doctrine chrétienne sur la
société humaine» (GS 23 – 2). Ce texte fait 49 fois référence à la DSE mais
seulement 7 fois aux textes antérieurs à 1950 et 42 fois aux textes publiés à
partir de 1960. Il y a bien là une inflexion cruciale. On passe du «social» au
sens étroit, à la «société» au sens large.
Tout
ceci est confirmé :
- en 1992 par la publication du
Catéchisme de l'Église Catholique (Jean-Paul II).
- en 2008 par le Compendium de la
DSE.
C'est dire leur actualité.
c) Les deux nouveautés fondamentales
- L'Église se proclame
accueillant à l'ensemble de la société humaine.
Elle se déclare «solidaire de la
famille humaine», «solidaire du genre humain», «proche» de tous les hommes et
pas seulement des chrétiens. Elle affirme qu’il faut renouveler «la société
humaine» et «l’homme» dans leur totalité.
Elle
veut «faire route avec toute l’humanité et partager le sort terrestre du
monde». Elle se présente «comme le ferment, l’âme de la société humaine». Elle
veut «humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire». Elle met
en garde : «que l’on ne crée pas d’opposition artificielle entre les activités
professionnelles et sociales d’une part, la vie religieuse d'autre part».
«Que
les chrétiens se réjouissent de pouvoir mener toutes leurs activités terrestres
en unissant dans une synthèse vitale tous les efforts humains, familiaux,
professionnels, scientifiques, techniques avec les valeurs religieuses». «La
question sociale est devenue mondiale… Les peuples de la faim interpellent
aujourd'hui de façon dramatique les peuples de l’opulence». «La vie en société
doit être considérée comme une réalité d’ordre spirituel»
- L‘Église affirme la
vocation sociale de l’homme dans le monde
d’aujourd'hui.
«L’homme de par sa nature profonde est
un être social, et, sans relation avec
autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses qualités». (GS 12 4).
«Le
principe essentiel de la DSE catholique est que l’homme est le fondement, la
cause et la fin de toutes les institutions sociales» (MM 219).
«Le
développement intégral de l’homme ne peut aller sans le développement solidaire
de l’humanité» ( PT 43 ).
«Le
caractère social de l’homme fait apparaitre qu’il y a interdépendance entre
l’essor de la personne et le développement de la société elle-même». «La
personne humaine, de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale»
(GS 25).
«L’initiative des chrétiens laïcs est
particulièrement nécessaire lorsqu‘il s'agit de découvrir, d’inventer des
moyens pour imprégner des réalités sociales, politiques, économiques, les
exigences de la doctrine et de la vie chrétienne »
(Catéchisme
de l'Église catholique 899).
D/ Depuis 1980 : épanouissement des
principes posés par le Concile, Jean XXIII et Paul VI
a) 1978 -2005 : Jean-Paul
II
Évolution du monde. Rivalités
Est-Ouest, débat sur le tiers-mondisme, fossé Nord-Sud, dépenses d'armement,
terrorisme, réfugiés, sous-emplois extrême pauvreté, dette internationale,
chute du mur de Berlin et attentat de 1981 contre Jean-Paul II.
Textes de Jean-Paul II :
Rédemptor hominis (1979), Laborem exercens (1981), Sollicitudo rei Socialis
(1987), Centesimus annus (1991).
Les thèmes : dans le droit
fil de Vatican II
les
thèmes traités concernent la solidarité, le travail, le développement, la
justice et la miséricorde, les droits
de l’homme. L’ensemble est articulé au
service de la «nouvelle évangélisation».
b) 2005 – 2013 : Benoit XVI
Le début du XXIe siècle est
marqué par de graves disparités économiques et sociales dans le monde, par une
crise économique et financière internationale et par des tensions religieuses
et raciales. Une dominante : la mondialisation.
Benoit XVI intègre ces
données nouvelles dans deux encycliques : Deus Caritas est et Caritas in
Veritate. Il spiritualise le message de la Doctrine.
c) Depuis son élection en juin 2013 le Pape
François a publié deux textes : Lumen fidei et Evangeli Gaudium. Il insiste sur
la dimension sociale de l’évangélisation
et précise les interfaces entre la foi, la charité, l’espérance et la fraternité dans la
perspective du respect de la «dignité de la personne», de la «famille» et du
«bien commun».
II
Contenu de la DSE
A/ La personne humaine et le respect de sa dignité
Au cœur de la DSE comme l’a souligné
Vatican II il y a la relation de l’homme avec Dieu au sein de la communauté
humaine. Dans cette dernière l’homme n’est pas quelque chose mais quelqu‘un,
une personne, homme ou femme, créé à l’image de Dieu c’est à dire à l’image des
Trois Personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et l’Esprit unis dans
l’Amour. A ce titre l’homme est donc une personne, une personne humaine par
rapport à Dieu et par rapport à tous les autres hommes également personnes
humaines. La personne humaine absorbe donc sans les supprimer d’autres
appellations : le prochain, le frère, l’autre , autrui … Par contre elle exclut
le mot individu car l’individualisme conduit au repli sur soi au mépris de la
communauté humaine. Elle a donc un prix
inestimable, d'où la nécessité absolue du respect de sa dignité, d’origine
divine, transcendante.
Du fait de cette éminente
responsabilité, la personne humaine en effet ne doit pas être considérée comme
un simple élément, «une molécule de l’organisme social» comme l’indique
Centesimus annus (Jean-Paul II). Elle ne doit pas être broyée dans les
idéologies réductrices. Au contraire le juste exercice de la liberté dans la
vérité exige des conditions ambiantes précises d’organisation économique,
sociale, juridique, politique, culturelle, variant selon les lieux et les
époques et dont précisément la DSE est garante.
Pacem in Terris et Mater et
Magistra élargiront le principe du respect de la dignité de la personne humaine
à celle des nations et des peuples et sous certaines réserves Jean XXIII a
considéré que la Déclaration universelle des droits de l’homme a marqué un pas
vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté
mondiale.
B/ Comment assurer avec efficacité le
respect de la dignité de la personne humaine
A cette fin la DSE propose une
architecture ambitieuse et cohérente de la société civile.
a) Deux objectifs : «la destination
universelle des biens» et «la promotion du bien commun».
La destination universelle des
biens est définie de la manière suivante par Gaudium et spes (ch III-69) :
«Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les
hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la Création doivent
équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice
inséparable de la Charité». Donc :
équité, justice, charité. Ce principe n’est pas seulement un droit
positif de nature juridique lié aux contingences historiques, mais un droit
naturel, inscrit dans la nature de l’homme. Ce droit est prioritaire par rapport à toute intervention humaine sur
les biens.
Il a
une valeur normative et morale. Conséquence forte : il pèse «une hypothèque sociale
sur le droit de propriété».
Le deuxième objectif est celui
de la promotion du «bien commun» que GS (20 – 1) définit ainsi : «l’ensemble
des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres,
d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée».
Il faut donc rendre accessible à
l’homme tout ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine par
exemple : nourriture, vêtement, habitat, droit de choisir librement son état de
vie, fonder une famille, droit à l’éducation, au travail, au respect, à une
information convenable, droit d’agir selon la droite règle de sa conscience,
droit à la sauvegarde de la vie privée et à une juste liberté, y compris en matière religieuse.
Toutes ces précisions sont
prescrites par GS au paragraphe (22- 2).
Cette
recherche du «bien commun», dans le cadre de la destination universelle des
biens, doit se déployer à trois niveaux : individus et corps intermédiaires
(par exemple les relations capital travail) pouvoirs publics et communauté
politique (législation et conventions) et communauté internationale (réfugiés,
migrants, alimentation, santé…).
b) Pour atteindre ce double objectif
la DSE pose trois principes : subsidiarité, solidarité et participation :
- le principe de subsidiarité, afin
de protéger le plein épanouissement de la personne humaine des excès de
l’individualisme et de l’autoritarisme des pouvoirs publics. Dans la Cité ce
qu’un niveau inférieur peut gérer harmonieusement ne doit pas être traité par
un niveau supérieur. Ce principe de philosophie sociale assure l’équilibre
entre l’individu, la famille, les groupes sociaux et les collectivités
publiques nationales et internationales.
-
le principe de solidarité qui complète le principe de subsidiarité pour
compenser les disparités existant dans le monde, souvent fruits pervers des
«structures de péché» dénoncées par Jean-Paul II. La solidarité est un principe
social qui permet de transformer en «structures de solidarité» les «structures
de péché». C’est aussi un principe moral et non pas un sentiment de compassion
vague ou d’attendrissement superficiel.
-
enfin le principe de participation :
pour que la subsidiarité et la solidarité fonctionnent il faut que le
citoyen, comme individu ou en association, directement ou au moyen de
représentants, vivifie la vie culturelle, économique, sociale, politique de la
communauté civile. Paul VI dans Octogésima Adveniens est à cet égard cinglant
et toujours d’actualité : «que chacun s’examine pour voir ce qu’il a fait
jusqu‘ici et ce qu'il devrait faire. Il ne suffit pas de rappeler des
principes, d’affirmer des intentions, de souligner des injustices criantes…»
(OA 48).
c) «Valeurs de référence» : Vérité,
Liberté, Justice et Charité
Enfin pour mettre en œuvre les
trois principes de subsidiarité, de solidarité et de participation encore
faut-il que les chrétiens s’inspirent de ce que la DSE appelle des «valeurs
de référence», au nombre de quatre.
- La Vérité : elle est à la
base de l’ordre social. Son contenu est gravé dans la conscience de la personne
humaine car il émane de «la loi naturelle et divine» : aimer, accomplir le
bien, respecter en toute circonstance la dignité de la personne humaine. (développé
notamment par Benoit XVI dans Caritas in Veritate)
- La Justice : elle tend vers
le respect effectif des droits de la
personne humaine et l’accomplissement loyal des devoirs au niveau des personnes
et des peuples. Elle consiste à donner au prochain ce qu’il lui est dû.
- La Liberté : elle est en l’homme un signe
privilégié de l’image divine et doit s’exercer dans le respect de la Vérité et
de la Justice.
- La Charité : elle est le
critère suprême et universel de l’éthique sociale. Seule la charité peut animer
et modeler l’action sociale en direction de la justice et de la paix. On est là
au cœur de la mise en œuvre de l'Évangile dans la société contemporaine.
C / La mise en
pratique
a) L'Église
L'Église n’entre pas dans les questions
techniques; elle n’a pas de système idéologique clé en main; sa mission n’est
pas d’ordre politique, économique et social;
elle n’impose pas. Mais elle annonce le Christ Rédempteur, elle proclame
l'Évangile, elle fait référence à un humanisme pleinier qui libère tout ce qui
opprime l’homme et qui assure le développement intégral de tout l’homme et de
tout homme.
C’est
tout l’objet de la DSE. Mais les papes ont aussi appelé de manière pressante
les membres du clergé pour faire connaitre et mettre en œuvre la Doctrine
sociale. Formation dans les séminaires, évocation dans les célébrations
sacramentelles, accompagnement des fidèles et des mouvements engagés dans la
vie sociale et politique, catéchèse, préparation au catéchuménat et homélies…
Sur
le terrain on peut regretter le manque d’initiative dans ce sens.
b) «Les fidèles laïcs»
Lumen Gentium donne une définition
large et tonifiante du «fidèle laïc» : «le laïc chrétien est incorporé au
Christ par le baptême, intégré au peuple de Dieu, participant à sa manière à la
fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ en exerçant dans l'Église
et dans le monde la mission qui est celle de tout le peuple chrétien» (LG 31).
Dans
l’expérience du croyant, rappelle Jean-Paul II : «il ne peut y avoir deux vies
: d’un côté la vie qu’on nomme spirituelle avec ses valeurs et ses exigences,
et de l’autre la vie dite «séculière» c’est à dire la vie de famille, de
travail, de rapports sociaux, d’engagement politique, d’activités culturelles».
Cela exige de la part de chaque laïc un appel fort au «discernement », au
recours à la formation et à un engagement dans l’action.
c) «Les hommes de bonne volonté»
Les
différentes encycliques depuis le Concile évoquent également «les hommes de
bonne volonté», non croyants, mais ayant foi en l’homme. Les divergences
n’excluent pas les rencontres. Quadragesimo anno déclare : «Qu’ils s’unissent
donc, tous les hommes de bonne volonté». Gaudium et spes déclare : «le monde
moderne apparait à la fois comme puissant et faible, capable du meilleur et du
pire, et le chemin s'ouvre devant lui de la liberté ou de la servitude, du
progrès ou de la régression de la fraternité ou de la haine. GS 9-4)
Conclusion
En conclusion rappelons que la DSE,
depuis Vatican II, affirme que l'Église
d’aujourd’hui se veut accueillante à l’ensemble de la société humaine et
que l’homme a dans le monde une vocation sociale. La DSE n’a donc plus
seulement une dimension «sociale» au
service de la «condition ouvrière» mais une vocation universelle concernant la
société dans son ensemble.
Par ailleurs au sein de la société
l'Église affirme que l’homme n’est pas quelque chose mais quelqu‘un, une
personne humaine, créée à l‘image de Dieu, c’est à dire à l’image des Trois
Personnes de la Sainte Trinité. A ce titre le respect de la dignité de toute
personne humaine est une absolue priorité. L'Église, propose donc un cadre
cohérent de pensée et d’action qui constitue le cœur de sa «Doctrine» :
Deux objectifs : la destination
universelle des biens et le bien commun; trois principes : subsidiarité,
solidarité, participation; quatre valeurs de référence : Vérité, Liberté,
Justice, Charité.
Alors me direz-vous, dans ce cadre
que pouvons nous faire ?
A
mon avis :
- au niveau individuel : dans
la perspective de Diaconia 2013 tendre vers un équilibre constant entre la
Parole, les Sacrements et le Service c’est à dire la Charité «valeur clé de
référence» de la DSE.
- au niveau collectif :
participer à des actions de formation et à des engagements dans la vie associative.
- au niveau global : être «un
citoyen du monde» intégrant les moyens modernes d’informations, l'exercice des
droits politiques, économiques et sociaux, l’engagement dans la vie de la Cité
au sens le plus large.
Et
si certains jours la tâche vous paraît trop difficile vous pourrez toujours
vous réconforter en vous référant au Psaume 85, 5e strophe :
Amour et Vérité se rencontrent,
Justice et Paix
s’ embrassent;
Vérité germera de la terre, Et des
cieux se penchera la Justice.
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